
Bon. Pas la peine de tourner autour du pot. Au cas où vous l'ignoriez encore, les années quatre-vingt dix, et les années deux mille, à leur suite, ont indubitablement ouvert la voie à une nouvelle branche d'artistes dont l'émergence s'est montrée déterminante ; les Disc Jockeys (DJ's). Véritables stars, les foules se précipitent désormais dans les clubs pour écouter la musique qu'ils auront choisi, du haut de leur culture vinylique et de leur collection personnelle, toute aussi faramineuse. Cet engouement colossal est d'une importance capitale, forçant à redistribuer les cartes. C'est que, depuis, le statut d'artiste et de musicien s'est vu s'élargir considérablement au point donc d'inclure ces Dj's dans cette nouvelle cartographie du paysage musical. Mais comme en tout, la communauté des Dj's compte déjà un panel très étendu d'approches diverses et de sensibilités différentes. Aux côtés des incontestables animateurs de soirées que sont Danny Tenaglia, Laurent Garnier ou Juri Hulkkonen, il y a aussi toute une frange plus expérimentale (Dj Shadow, Dj Krush, Kid Koala) qui flirtent souvent avec le rap ou le trip hop. Mais ce projet 2 Many Dj's appartient encore à une toute autre catégorie. Ce qui rend l'expérience encore plus troublante, c'est que derrière ce concept fumeux se cache le groupe de rock alternatif belge, Soulwax, prouvant par là même que l'artiste complet se doit aujourd'hui d'être multi disciplinaire et doté d'une faculté d'adaptation hors du commun. Ainsi, un peu à l'image de John Oswald (dont la technique des Plunderphonics reste, à ce jour, inégalée), mais sans baigner dans son extrêmisme, le duo nous propose une succession incroyable, interchangeable et superposable de titres à priori complètement incompatibles. "As Heard on Radio Soulwax pt.2" (...inutile de chercher la première partie ; elle n'existe pas) ne perd pas de vue le sens du divertissement, et reste, malgré les crises de fou rires ou les masques d'horreur à l'écoute des titres triturés, un disque de danse. Mais un disque de danse comme celui-là, vous n'en avez jamais entendu. Emerson Lake & Palmer fait les frais de l'expérience d'entrée de jeu en voyant son adaptation de "Peter Gunn" servir de fond musical au groupe house Basement Jaxx. Plus loin, le Velvet Underground rencontre Sly & The Family Stone, Salt'n Pepa chante leur tube, "Pushit", sur le "No Fun" des Stooges, Garbage se perd au détour d'un titre des Residents, les chanteuses r'n'b Destiny's Child poussent les vocalises sur le fameux "Dreadlock Holiday" de 10cc, puis Dolly Parton, le rappeur Skee-Lo, les Breeders copulent avant que les Cramps ne débarquent à leur tour, vite rejoints par une reprise du célèbre "I was made for loving you" des Kiss par Queen of Japan sur un instrumental signé New Order !!! Impensable me direz vous ? Sacrilège ? Ce disque est un régal, un bonheur, une joie, un amusement hors du commun, d'autant plus extraordinaire que parfaitement orchestré et superbement travaillé. Les transitions sont parfaites et permettent plusieurs niveaux de lectures. Il délectera ceux qui ont une culture musicale relativement étendue, ébahis par tant d'inventivité, alors que le disque pourrait tout aussi bien servir d'abécédaire à qui voudrait s'introduire à la musique pop du vingtième siècle. Dans tous les cas, 2 Many Dj's signe là le manifeste des années deux mille : celles du metissage absolu, où tout est permis et reste à inventer. (August 2002)
Source :
[g.o.d]