
George W. Bush et John Kerry s'affrontent aussi sur leur passé militaire
WASHINGTON L'Amérique est en guerre mais c'est encore celle du Vietnam qui agite ce début de campagne présidentielle entre un George W. Bush qui se défend des accusations de planqué et un John Kerry, bardé de médailles, qui s'affiche avec ses anciens compagnons d'armes. Mais le fantôme de ce conflit controversé a surgi dans un contexte extrêmement différent, selon qu'il s'agisse de la biographie du président républicain sortant ou de celui qui apparaît comme son rival le plus sérieux.
Plus de 30 ans après la guerre qui a coupé l'Amérique en deux, les choix opposés faits par ces deux hommes ont aujourd'hui des résonances particulières dans leur duel électoral. Pour Kerry, 60 ans, qui s'est engagé dans la marine en 1965, la question du Vietnam est centrale et il la met en avant depuis le début de sa campagne pour déjouer toute tentative des républicains de se présenter comme les seuls gardiens de la sécurité nationale.
Unanimement reconnu comme héros, décoré à plusieurs reprises, blessé au combat, Kerry apparaît systématiquement entouré d'anciens combattants, dont un qu'il a sauvé d'une mort certaine dans le delta du Mékong.
Bush, 57 ans, est quant à lui plutôt sur la défensive puisqu'il n'a pas combattu au Vietnam et a dû prouver, fiches de solde à l'appui - il a même été contraint, hier, de publier l'ensemble de son dossier militaire -, qu'il s'était bien acquitté de ses obligations militaires en pleine guerre, alors qu'il était engagé au sein de la Garde nationale depuis 1968.
Avec en toile de fond une autre guerre, elle aussi controversée, en Irak, les deux rivaux doivent convaincre l'électorat de leur patriotisme, de leur force de caractère, de leur sens du devoir et de leurs qualités de meneurs. Ces derniers jours, le ton est monté entre les deux camps, les démocrates accusant Bush d'avoir tenté de se défiler en utilisant des protections familiales, et la Maison-Blanche les accusant de pratiquer une «politique de caniveau».
Inattaquable sur ses états de service, Kerry est en revanche une proie de choix pour les républicains en raison de sa participation active au mouvement contestataire dès son retour du Vietnam.
Le conservateur Washington Times a ainsi publié en Une, une photo de Hanoï Jane, l'actrice engagée Jane Fonda, alors qu'elle manifestait en 1970 en Pennsylvanie contre la guerre du Vietnam. Plusieurs rangs derrière, on reconnaît le lieutenant Kerry, en civil.
Des parlementaires du Grand Old Party se disent choqués par le militantisme «suspect» du jeune Kerry et mettent en question ses capacités de «commandant en chef», obligeant une Jane Fonda très remontée à défendre sur CNN «le patriotisme» de Kerry, à fustiger «les mensonges» des républicains et à jurer ne lui avoir «même jamais serré la main» à l'époque.
«Les républicains paniquent», s'emporte Bobby Mueller, président de la Fondation des anciens combattants du Vietnam, «car Bush s'est présenté comme un président de guerre, un héros de la guerre contre le terrorisme. Il joue au macho alors qu'en fait, il n'est qu'un faucon façon poule mouillée».
Mueller fait sienne l'idée communément admise aux Etats-Unis: «Pour ne pas servir au Vietnam, il suffisait d'intégrer les rangs de la Garde nationale».
Les «vétérans, confie cet ancien du Vietnam, sont absolument outrés par cette administration qui nous a imposé une autre guerre du même type, en Irak, une guerre que nous perdons, dont nous ne pouvons pas nous extraire et qui est encore menée à des fins politiques».
«Le Vietnam est un sujet qui suscite encore les passions», explique l'historien Peter Kuznick, spécialiste de ce conflit, pour qui Bush ou Kerry, dans le contexte de la guerre au Vietnam, c'est «bonnet blanc et blanc bonnet». Car, observe-t-il, «Kerry fait campagne en faisant comme si c'était bien de participer à une guerre immorale, et Bush a joué au fils de famille pour éviter de se battre».
H. Le.
© La Dernière Heure 2004