
PODIUM - Quand Benoît fait le clone (10/02/2004)
© Demoulin
«En danse, je ne me voyais pas progresser, c'était horrible»
BRUXELLES Quand il a annoncé à sa maman qu'il allait, au cinéma, se glisser dans la peau d'un sosie de Claude François, la réaction ne s'est pas fait attendre: «Mais tu ne lui ressembles pas du tout», lui a-t-elle tout simplement lâché. Cette réflexion, frappée au coin du bon sens, Mme Poelvoorde n'est pas la seule à se l'être faite. Aujourd'hui, pourtant, il ne passerait dans la tête de personne d'imaginer quelqu'un d'autre que lui dans l'habit de lumière de Bernard Frédéric, le meilleure clone de Cloclo que la Terre ait porté. Rencontre avec Ben, le vrai, celui qu'on aime parce qu'il ne se prend pour rien d'autre que pour lui.
Tu as été à l'affiche d'un seul film sorti en 2003. Le reste de ton temps, c'est Cloclo qui te l'a pris?
«Euh? On est en 2004? En 2003, j'ai tourné trois films mais ne suis apparu qu'une fois dans le rôle du maître nageur dans le film d'Isabelle Doval. Le reste du temps, j'ai beaucoup travaillé sur Podium .»
Trois mois de préparation, trois mois de tournage, c'est ça?
«Exact. Trois mois de préparation à raison de deux heures de danse par jour et deux heures de chant.»
Qu'est-ce qui a été le plus pénible? La préparation ou le résultat?
«La préparation, je te jure! Je ne me voyais pas progresser. Je me levais tôt le matin, j'avais chant de 10 heures à midi, une heure de break pour manger puis deux heures de danse. Je rentrais chez moi à quatre heures et j'étais mort crevé. En plus, j'ai dû vivre à Paris pendant six mois...»
Et ça, c'est crevant!
«Oh oui! La production m'avait filé un appart - enfin, m'avait filé... à mes frais, ouais -, et c'est ça qui a été le plus dur parce que je n'aime pas vivre dans cette ville. C'est exténuant. Maintenant, ça va un peu mieux, parce que depuis, j'y ai tourné deux autres films, mais au début, pfffuit. Comme je suis très casanier, c'était difficile de ne pas vivre chez moi. Plus la danse... Mais je ne me rendais pas compte que ce serait compliqué à ce point.»
A l'époque du Vélo de Ghislain Lambert, tu disais déjà que c'était le truc le plus difficile...
«Ben oui, mais là, j'ai trouvé plus dur. Parce que le vélo, c'est exponentiel. Si je m'arrête de pédaler, je continue d'avancer. La danse, pas du tout. Avec le vélo, je me voyais progresser, tous les jours je faisais un peu plus de kilomètres. Et puis, je réfléchissais à autre chose en pédalant. Quand tu danses, tu ne penses qu'à tes pas. En plus je me voyais tout le temps!»
Et tu as toujours du mal avec ton image?
«J'ai un rapport à mon corps assez particulier. Cela ne me plaisait pas de me regarder. D'ailleurs, ils ont trouvé la solution. Comme je baissais tout le temps la tête à cause des miroirs qu'il y avait partout, ils m'ont rajouté les Clodettes, qui sont venues prendre des cours après un mois. Ensuite, ils m'ont trouvé une salle de danse où il n'y avait qu'un seul miroir et je dansais dos à la salle.»
Yann Moix dit qu'on est tous dépendants de quelque chose. Bernard Frédéric, c'est Claude François. Toi, tu es dépendant de quoi?
«La clope peut-être... Je ne pourrais pas vivre sans musique, ni sans bouquins. Je suis un boulimique de lecture. Je lis tout ce qui passe. Alors forcément, entre Yann et moi, ça a été une rencontre aussi littéraire que cinématographique.»
Il est arrivé la bouche en coeur en te disant qu'il aimerait tourner avec toi?
«Exactement. Je lui ai dit de me montrer son scénario... Neuf fois sur dix, les mecs qui font ça sont des illuminés et tu t'en débarrasses très vite. Surtout si le type arrive en te disant que son scénario, c'est de la merde et qu'il ne veut pas te le montrer. Là, je me suis dit: C'est un malade . Et deux ans après, il s'est pointé avec le bouquin. Avant que le livre sorte, il m'a offert le manuscrit, m'a demandé de le lire. Ça m'a tellement fait rire! Qu'en plus il l'ait écrit pour moi, honnêtement, j'étais sur le cul.»
A la fin du roman, Bernard Frédéric meurt. Pas à la fin du film. C'est toi qui l'a voulu...
«Oui, c'est une grande discussion qu'on a eue, dès le début. Moi, je ne voulais pas qu'il meure, parce que ça revenait à faire mourir deux fois Claude François, chose qui serait absolument insoutenable. Je trouve que c'est mieux comme ça parce que les gens sortent de la salle avec la niake . Je reste convaincu qu'il fallait finir sur un truc optimiste. On ne peut pas abandonner le spectateur, surtout avec un film comme ça. Ce film, c'est un hommage aux Carpentier. Il n'y avait jamais de drame chez les Carpentier! Ce sont parfois des chansons dramatiques, mais sur un ton léger, candide, avec un part d'enfance. Il fallait garder la fraîcheur de ses chansons.»
Il y a des choses bien à toi que tu as ajoutées dans le film?
«Il y en a... Les fans de Ben, enfin de moi (il se marre), les repèrent à vue de nez. Par exemple, il y a une expression belge, dans le film, que les Français adorent. C'est Elle a les yeux qui crient braguette . Ils ne la connaissaient pas. C'est comme Chaude comme une baraque à frites.»
Le duo avec Jean-Paul Rouve est magnifique. Comment s'est passée la rencontre?
«Incroyable! Jean-Paul est du Nord et dès qu'on s'est rencontrés: paf! Les affinités du Nord, il n'y a rien à faire... On est très joueurs, on en a rien à foutre d'avoir l'air ridicules et on est là pour se marrer entre nous.»
La scène des bagarres entre les sosies de Cloclo et ceux de Sardou, vous l'avez coupée au montage?
«C'est écrit, effectivement, mais ça a été coupé. Ce qui est hallucinant, c'est qu'ils sont vraiment venus, les sosies de Sardou et de Cloclo. Et qu'ils l'ont vraiment fait dans la vie: ils se sont regroupés par tables! Dans le film, normalement, il devait y avoir les Sardonades , c'est-à-dire des actes répressifs contre les Sardou. On l'a tournée mais on l'a pas mise pour une question de rythme. Elle sera sans doute sur les bonus.»
Devoir aller faire le comique dans les émissions de télé, ce n'est pas un peu fatiguant, parfois?
«Ça dépend. Il ne faut jamais aller à la télé en faisant la gueule, c'est nul. Mais il y a aussi des choses que tu ne peux pas refuser, quand tu as un attaché de presse en France. Surtout pour des films comme celui-là qui sont ultra-populaires. Mais j'aborde ça avec de plus en plus de distance. Avant, je m'impliquais trop. Aujourd'hui, si je n'ai pas envie de déconner, je ne déconne pas. Point.»
L'habit fait le Cloclo
BRUXELLES Les coulisses d'un tournage révélées par le réalisateur, Yann Moix...
Le cahier des charges pour les costumes de Bernard disait quoi?
«Il fallait que les costumes de Bernard soient l'équivalent de ce que seraient les années 70 aujourd'hui. Bernard Frédéric a six costumes: un bleu à perles western Steve Mac Queen , un métallique à paillettes, un rouge Prince, un recouvert d'ampoules de Noël, un jaune et un blanc, immaculé, le dernier, celui qu'il porte lors de sa dernière chanson, la chanson d'amour à Véro. Benoît a vécu un calvaire absolu sous la perruque de Claude François. Il avait pourtant juré après Le boulet qu'il ne ferait plus de films à perruque. Il a développé une allergie à la colle à perruques, son visage était à moitié mauve. Les derniers jours de tournage ont été pour lui un supplice. Ce qui nous a sauvé Benoît et moi, c'est que nos deux folies s'emboîtaient, et nous étions quand même prêts à aller au bout du bout du monde pour ce film. Et puis cet homme-là crée une ambiance de tournage extraordinaire. Sa présence déconnante, sa générosité et son sens inépuisable de l'improvisation comble tout le monde, des techniciens aux acteurs.».
Propos recueillis par Isabelle Monnart
© La Dernière Heure 2004