RATTENBERG (AFP)
22 octobre 2005 13h45
Sans lumière en hiver, une ville autrichienne veut détourner le soleil
Privé de lumière entre novembre et février, Rattenberg, un village du Tyrol autrichien vivant depuis neuf siècles dans l'ombre d'une montage, veut sortir de l'obscurité en détournant le soleil avec des réflecteurs pilotés par ordinateur.
Située à 40 km à l'est d'Innsbruck, la petite bourgade du 12e siècle est dominée au sud par le "Stadtberg", une montage culminant à 910 m qui fait écran quatre mois par an aux rayons rasants du soleil hivernal.
Pour sortir de cette pénombre et secouer la mélancolie qu'elle engendre immanquablement chez ses 467 habitants, Rattenberg va installer une soixantaine de miroirs pour réfléchir le soleil vers les élégantes façades baroques de son centre.
En collaboration avec le "Bartenbach Lichtlabor", un laboratoire d'Aldrans (ouest) spécialisé dans les phénomènes lumineux, une trentaine d'héliostats doivent être montés d'ici au printemps 2007 dans la commune de Kramsach qui, située à moins de 500 m à vol d'oiseau au nord de Rattenberg, bénéficie d'un ensoleillement parfait en hiver.
"Ces miroirs, pilotés par ordinateur pour accompagner le mouvement du soleil, refléteront la lumière vers des miroirs fixes installés sur un fort" du 17ème siècle situé sur le "Stadtberg", explique Markus Peskoller, responsable du projet au Lichtlabor. "Cette seconde batterie de miroirs détournera le soleil vers une dizaine de points choisis au centre du village", ajoute-t-il.
"Nous avons lancé ce projet un peu fou en 2003, à l'issue d'une consultation où un habitant sur cinq s'est dit dépressif à cause du manque de soleil en hiver", explique le maire de Rattenberg, Franz Wurzenrainer.
Ces "désordres affectifs saisonniers" causés par le manque de lumière sont bien connus des médecins. "Ils se caractérisent par une tristesse extrême accompagnée de fatigue, de troubles du sommeil et le sentiment de n'être bon à rien", explique le Dr Franz Schwanitz, psychologue à l'université d'Innsbruck.
"En hiver, je n'ai plus goût à grand chose", confirme Johann Arzberger, un sculpteur sur bois établi dans la Sà¼dtirolerstrasse, la rue principale du village. De plus, l'obscurité diurne à laquelle le village est condamné depuis toujours en hiver "fait fuir les touristes", se plaint Reinhard Lotz, patron du "Gasthof Schlosskeller", un hôtel-restaurant cossu situé à proximité.
La pénombre incite en outre les habitants à quitter le village: au cours des cinq dernières années, Rattenberg a perdu 10% de sa population et une cinquantaine de logements y sont vacants, selon le maire. "Nous devons retenir notre population", argue-t-il lorsqu'on lui demande comment la commune pourra payer les 2 millions d'euros que coûtera le projet, soit l'équivalent de son budget annuel.
Alors que l'étude de faisabilité est encore en cours, personne ne peut garantir que le système fonctionnera. "Les contraintes techniques sont énormes", affirme M. Peskoller. "Il n'existe pas de projet semblable au monde. Les miroirs devront être d'une précision extrême, parfaitement plats, pour que ça marche", ajoute-t-il.
"Le verre a toujours sauvé Rattenberg", affirme pourtant, confiant, Leopold Kisslinger, qui exploite l'une des six cristalleries du village dont la première a été fondée il y a près de quatre siècles. "Avec ce système, les touristes viendront en masse, ne serait-ce que pour l'observer", espère-t-il.
Cet enthousiasme est partagé par l'une des deux boulangeries du village qui a créé un gâteau au sucre opportunément baptisé "Der Spiegel", le miroir.
