Un jour maître corbeau sur un arbre perché
Tenait dedans son bec un fromage glacé.
Maître renard par l'odeur alléché
Lui tint à peu près ce langage:
Hé! Bonjour Monsieur du Corbeau!
Que vous êtes joli! Que vous me semblez beau!
Sans mentir si votre ramage
Se rapporte à votre plumage
Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois.
À ces mots le corbeau ne sent plus de joie
Et pour montrer sa belle voix
Il ouvre un large bec et laisse tomber sa proie.
Le renard s'en saisit et dit:
"Tout bon flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute.
La leçon vaut bien un fromage sans doute!"
Le corbeau honteux et confus,
Jura, mais un peu tard, qu'on ne le prendrait plus.
Pour vous faire plaisir j'ajoute ce qui suit.
Vous qui connaissez tous la Fable du Corbeau.
Je vais à ce sujet vous dire du nouveau:
Hier en traversant la forêt du Sénard,
je fus témoin hélas de la mort du renard:
Son papa, sa maman, ses frères et ses cousins
sont tous à ses genoux dans un cruel chagrin.
Lorsque le médecin, vieux renard de bon ton
Déclare qu'il est mort d'une indigestion.
Arrivé au cimetière, le maire s'inclina.
Et Monsieur le Curé tout en larmes, parla.
Je ne sais pas ce qu'il leur dit,
Mais un fait bien certain, ah! c'est qu'ils avaient tous
Leurs mouchoirs à la main.
Tous les renards en deuil, au nombre de cent dix
Défilèrent deux à deux chantant des Profundis.
Alors Maître Corbeau sur son arbre perché
S'écrie le voilà mort et j'n'en suis pas fâché.
Il m'a pris mon fromage, il me l'a tout mangé.
Le destin l'a puni, Dieu vous m'avez vengé.