ARLON, Belgique (Reuters) - Marc Dutroux a jeté un pavé dans la mare à l'occasion de l'ouverture, lundi, de son procès devant la Cour d'assises d'Arlon en affirmant qu'il ne constituait qu'un rouage d'un réseau belge de pédophilie.
L'ennemi public numéro un de Belgique, accusé d'une série d'enlèvements, de viols et d'assassinats de fillettes qui a bouleversé le pays, a relancé une thèse à laquelle croient beaucoup de Belges, sceptiques devant la théorie du "prédateur isolé", mais qu'il n'a jamais utilisée auparavant.
"Ce n'est pas parce que j'ai fait des conneries que je vais payer pour un système mafieux dont je ne suis pas le moteur," a-t-il déclaré dans une déclaration dont le contenu a été diffusé dimanche soir par la chaîne de télévision flamande VTM.
L'un de ses avocats, Ronny Baudewijn, a confirmé le contenu de "message", tout en le jugeant peu opportun à ce stade.
*"Ce n'était pas sa meilleure décision," a-t-il dit à des journalistes. "Je pense qu'il aurait dû faire cette déclaration quand il était censé la faire (mercredi prochain - NDLR)."
Marc Dutroux, qui a refusé d'être photographié lors de son entrée dans la petite salle de la Cour d'assises d'Arlon, une ville de 25.000 habitants située à 200 kilomètres de Bruxelles, adopte ainsi la stratégie de défense annoncée par ses avocats.
Vêtu d'une veste sombre et portant une cravate sous un pull de laine, il est apparu très calme lors de son entrée dans le box protégé par une épaisse vitre blindée, comme les trois autres accusés -- son épouse Michelle Martin, son complice Michel Lelièvre et un quatrième homme, Michel Nihoul.
"Je m'appelle Marc Dutroux," a-t-il répondu d'une voix posée au président de la Cour, Stéphane Goux. Profession? "Actuellement, je n'en ai pas". Domicile? "La prison d'Arlon", a-t-il ajouté avant de plonger le nez dans ses papiers.
DUTROUX SEMBLE SOMMEILLER
Quelques minutes plus tard, le président a signalé à l'un de ses avocats que Dutroux, qui a été placé aux côtés de son épouse, un choix curieux compte tenu de la terreur qu'elle dit ressentir devant lui, semblait sommeiller dans son box.
Larmes aux yeux, les parents d'An et Eefje, deux jeunes flamandes dont les cadavres ont été retrouvés le 3 septembre 1996, étaient présents dans la salle de la Cour d'assises.
A l'inverse, les parents de deux autres victimes, Julie et Melissa, huit ans au moment de leur enlèvement, brillaient par leur absence à ce procès auquel ils ne croient pas.
Les accusés sont arrivés très tôt, vers 07h00, au palais de justice cerné par une forêt de caméras et dans une température glaciale, bien avant le début du procès à 10h00.
Arlon a été placé sous haute surveillance policière et envahi par une armée de journalistes venus du monde entier pour assister à des audiences qui devraient durer au moins deux mois.
La première journée du procès, qui s'est déroulée sans aucun incident notable ni véritable manifestation, a été pour l'essentiel consacrée à la sélection des 12 jurés, un processus qui a démontré combien l'affaire Dutroux avait profondément marqué un pays halluciné par les errements de l'enquête.
Si de très nombreuses personnes parmi les 180 citoyens belges convoqués ont invoqué des raisons médicales ou professionnelles pour demander une dispense, plusieurs d'entre elles ont dit qu'elles ne pourraient pas supporter le procès.
"Je suis quelqu'un de très émotif," a expliqué une dame. "Rien que les avoir en face de moi, je ne pourrais pas".
Le procès entrera dans le vif du sujet mardi, avec la lecture de l'acte d'accusation, résumé de l'instruction criminelle la plus longue de l'histoire du pays, qui a duré plus de sept ans, et d'un dossier de 440.000 pages. Quelque 500 témoins seront appelés à la barre.
DUTROUX ACCUSE NIHOUL
Depuis des mois, les Belges sont abreuvés ad nauseam de programmes et suppléments spéciaux par les télévisions et les journaux qui replongent dans l'atmosphère de l'été 1996.
Si Sabine et Laetitia ont été extraites vivantes le 15 août de la cache où elles étaient séquestrées et violées, les cadavres de Julie, Melissa, An et Eefje seront retrouvés quelques jours plus tard dans les jardins de Dutroux.
Même s'il nie avoir tué les fillettes, accusant soit son complice Bernard Weinstein pour An et Eefje, soit son épouse, qui n'aurait pas nourri Julie et Melissa pendant leur captivité alors qu'il était lui-même en prison, Marc Dutroux a avoué suffisamment de méfaits pour être condamnée à la perpétuité.
Le témoignage de Sabine Dardenne, qui avait 12 ans lors de son enlèvement, devrait peser très lourd dans la balance.
"Je veux regarder Dutroux dans les yeux," a-t-elle déclaré il y a une semaine à une chaîne de télévision. "Lui montrer que je ne suis pas devenue folle, malgré ce qu'il m'a fait subir".
La principale question qui se pose déchire la Belgique depuis la découverte des cadavres: Dutroux était-il un prédateur isolé ou faisait-il partie d'un réseau de pédophilie?
Les Belges croient dans leur grande majorité à l'existence de réseaux, tout comme le parquet, qui accuse Michel Nihoul, un escroc condamné à de multiples reprises, d'y être mêlé.
Après être resté silencieux sur ce point pendant des années, Marc Dutroux a donc décidé d'accréditer la thèse du réseau.
Dans sa lettre à la chaîne de télévision flamande VTM, il accuse Michel Nihoul d'être la "charnière" du réseau.
"Michel Nihoul a tenu un rôle important dans cette affaire," écrit-il. "C'est lui la charnière. Je ne pouvais pas le dire avant, sinon il aurait fui à l'étranger"
L'homme souligne qu'il avait été "utilisé par d'autres" et se dit "en danger", la "mafia" gangrenant le système belge.
Le représentant de Michel Nihoul, Frédéric Clément de Clety, a quant à lui souligné que Dutroux ayant souvent changé de thèse, les dernières en date étaient "dénuées de toute crédibilité".